Catherine Gueguen , pédiatre formée à l’haptonomie et à la Communication Non Violente (CNV), a fait découvrir au grand public, grâce à deux livres, les notions de bienveillance et d’empathie . Elle explique ici ce que nous apprennent les dernières découvertes des neurosciences affectives et sociales sur le jeune enfant et le développement de son cerveau.
« Les neurosciences affectives et sociales m’ont donné, moi qui ai pratiqué la pédiatrie pendant plus de trente ans, une autre vision de l’enfant. Elles constituent un apport considérable dans la connaissance du développement de l’être humain. Et surtout maintenant on sait exactement ce qu’il faudrait faire pour que l’enfant se développe bien. Ce n’est plus une question d’intuition, c’est le début de la connaissance scientifique. »
Et que sait-on vraiment ?
On sait que le cerveau est beaucoup plus vulnérable et fragile que ce que l’on pensait. Et que durant les deux premières années de la vie d’un enfant, il est aussi très malléable. Tout ce qu’on vit s’imprime très profondément dans le cerveau du bébé. Tout ce qu’on dit, tout ce qu’on fait est important. C’est pourquoi les métiers de la petite enfance sont si importants. Rien de ce que font les professionnels n’est anodin. Ils jouent un rôle fondamental le développement de l’être humain.
Qu’est ce qui favorise un bon développement du cerveau ?
A chaque fois qu’on a une attitude empathique (sentir et comprendre des émotions de l’autre) et bienveillante (c’est être empathique), qu’on est soutenant, encourageant, cela permet au cerveau de se développer. Cela touche le cortex préfrontal qui nous permet d’être différents des grands singes, cela fait développer des circuits cérébraux qui vont permettre à l’enfant, progressivement, de savoir gérer ses émotions.
C’est pour cela que vous pensez que les professionnels doivent materner les bébés ?
Materner, c’est prendre soin, consoler, rassurer. Materner cela favorise la maturation du cortex préfrontal, la sécrétion d’hormones et molécules qui permettent le développement du cerveau. Et en plus cela génère la sécrétion d’ocytocine. C’est un cercle vertueux. Oui les professionnelles de la petite enfance doivent materner. Cela fait du bien à tout le monde, à elles comme au bébé. Le bébé a besoin de se sentir aimé et en sécurité. Intuitivement on le savait, aujourd’hui c’est confirmé par la science.
Vous dites aussi que les professionnels doivent comprendre que jusqu’à 3 ans un enfant ne peut pas gérer ses émotions et que ses comportements quels qu’ils soient ne peuvent être assimilés à des provocations ?
Entre la naissance et trois ans un enfant ne peut pas gérer ses émotions. Ce pas qu’il ne veut pas ou ne sait pas. Il ne peut pas. Le tout-petit ne provoque pas l’adulte. Son cerveau émotionnel et archaïque domine pendant la petite enfance. Donc l’enfant est dominé par ses émotions. Quand il est triste, il est immensément triste, quand il a peur, ce sont d’immenses paniques, quand il est en colère ,il est très en colère. Les professionnels doivent savoir que l’enfant, quand il est en proie à des tempêtes émotionnelles, ne le fait pas exprès. Il souffre. Si l’adulte ne le rassure pas, ne le console pas, ne l’apaise pas, le cerveau de l’enfant se stresse et secrète des molécules de stress toxiques pour le cerveau du tout-petit.
Comment consoler un enfant en pleine tourmente émotionnelle ?
Tout enfant qui pleure doit être écouté et entendu. Pour le consoler, il faut d’abord savoir nommer les émotions de l’enfant. Et pour cela le professionnel doit être connecté avec ses propres émotions. Ensuite, l’apaiser ne veut pas dire céder, mais expliquer avec des phrases courtes et simples. Cela demande énormément d’attention, de soins, de maternage.
Les professionnels de la petite enfance travaillent avec la période la plus compliquée pour l’adulte et pour l’enfant. C’est déstabilisant et difficile les trois premières années de la vie. C’est le cerveau émotionnel qui est en action. Le cerveau supérieur va venir ensuite le réguler. Et plus les professionnels maternent, plus le cortex préfrontal va maturer (vers 5/6 ans).
Que se passe- t-il si on ne sait pas faire face aux émotions du tout petit ?
Quand on ne répond pas aux besoins émotionnels de l’enfant, cela génère du stress et des troubles du comportement (agitation, anxiété, déprime) et cela « fabrique » des adultes qui ne sauront jamais gérer leurs émotions.
Les neurosciences expliquent-elles vraiment tous les comportements des jeunes enfants ?
Elles en expliquent beaucoup. Par exemple pourquoi vers un an-18 mois certains mordent ou tapent ? Cela s’explique par la domination du cerveau archaïque, celui que nous avons en commun avec les reptiles et les poissons. Il est là pour notre survie. Quand les besoins fondamentaux d’un tout-petit ne sont pas satisfaits, quand il ne se sent pas en sécurité, son cerveau archaïque va se mettre en action : et le bébé va taper, mordre, fuir ou attaquer.
Le punir, lui dire qu’il est méchant c’est de la maltraitance émotionnelle, je voudrais ne plus entendre « t’es méchant, t’es vilain, t’es pas gentil ! ». Toutes les paroles dévalorisantes, la critique, la honte, le rejet, l’isolation … c’est trop fréquent tant chez les professionnels comme chez les parents d’ailleurs.
Un bébé en mord un autre … Que faut–il faire alors ?
Certainement pas le punir ! Les punitions c’est terrible pour le cerveau des petits c’est le contraire de ce qu’il faut faire. Des études récentes montrent que cela abîme la partie du cerveau qui nous rend pleinement humain ! Il faut que les professionnels prennent conscience qu’il ne faut vraiment plus utiliser ces mots-là. Et cela s’apprend notamment par la Communication non violente (CNV) Un enfant mord, on ne le punit pas. On rappelle juste la règle : on ne mord pas. Punir ce serait montrer que seuls les rapports de force permettent de régler les conflits.
Les neurosciences affectives et sociales, la CNV (communication non-violente) … tout ça ne fait pas partie des formations des professionnels de la petite enfance, vous le regrettez ?
Oui je pense que tous les pros devraient être formés à la relation. Parce qu’avoir une attitude bienveillante cela permet de développer les compétences relationnelles et émotionnelles de l’enfant mais aussi de développer ses capacités intellectuelles. Et même son sens moral.
Par ailleurs, je pense que les adultes doivent se comporter comme de vrais adultes. Comme ils veulent que les enfants se comportent. Grâce à ces neurones miroirs, l’enfant va imiter l’adulte qu’il a devant lui.
Pour aller plus loin : Pour une enfance heureuse et Vivre heureux avec son enfant publiés chez Robert Laffont.
Article rédigé par : Catherine Lelièvre Présidente des Pros de la Petite Enfance