En tant que professionnels de la petite enfance, vous pouvez avoir un rôle à jouer dans le dépistage de certains troubles, comme dans le développement du langage. Il ne s’agit pas de poser un diagnostic mais plutôt d’être attentifs à certains signes d’alerte.
- Mathew Hayward
« A la fédération française des orthophonistes, nous pensons que le rôle des professionnelles de la petite enfance est d’observer les compétences des enfants, de contribuer à leur bon développement avant de dépister les troubles, » prévient Françoise Garcia, orthophoniste et secrétaire générale vice-présidente en charge de la prévention de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO).
Troubles et retards du langage
« Si l’on met en avant les troubles, on ne voit plus que cela et l’on n’observe plus les compétences des petits », poursuit-elle. « Les professionnels doivent donc s’assurer de l’acquisition des compétences socles qui sont : être en capacité d’accrocher du regard, être attentif aux source sonores, c’est à dire tourner la tête vers le bruit, produire des réponses avec un son, faire du « tour de rôle » (je tire la langue il tire la langue)… Ce sont ces compétences qui vont permettre à l’enfant de s’inscrire dans le langage parce qu’il aura été dans la communication, et c’est ce à quoi les professionnels de la petite enfance doivent être attentifs, » précise t-elle.
Néanmoins, ces professionnels peuvent jouer un rôle d’alerte et amener les parents à dépister suffisamment tôt un éventuel trouble du langage.
Il faut cependant distinguer le trouble du retard. « Rappelons que chaque enfant ne se développe pas au même rythme dans toutes ses compétences. Il existe une variable interindividuelle de développement entre 8 et 18 mois », explique Françoise Garcia. « Ainsi, un bébé peut par exemple avoir la compétence d’émettre un premier mot à 8 mois, alors qu’un autre le fera à 18 mois sans pour autant être en retard ou avoir un trouble », poursuit-elle. Il peut donc seulement s’agir d’un décalage par rapport à un âge moyen donné.
Le retard, quant à lui, peut avoir lieu pour diverses raisons : interactions insuffisantes, circonstances environnementales qui n’ont pas permis à l’enfant de développer son langage, conditions intrinsèques liées à l’enfant comme la prématurité…
Enfin, le trouble, est une pathologie, à la différence du retard. « Il s’agit d’un dysfonctionnement du développement du langage, qui s’installe dans le temps ». Cela se traduit par un enfant qui va rester bloqué à un stade et qui ne parvient pas à passer à l’autre.
Les signes d’alerte
Lorsqu’un enfant n’évolue pas, qu’il ne passe pas à l’étape suivante dans le développement du langage, cela doit vous alerter. « Voilà pourquoi il est important que les professionnels de la petite enfance aient une parfaite connaissance du développement du langage », rappelle Françoise Garcia. Imaginez un bébé qui babille bien, qui émet donc des « babababa », qui prononce ensuite « papa » et « maman » et qui s’arrête là. Cela peut être un signe de trouble. Néanmoins, il est conseillé d’observer l’enfant encore quelque temps. Stimulez-le lors de jeux d’éveil langagier, d’échanges, de comptines et observez ses réactions. Il se peut qu’il ait simplement besoin de plus de temps. En revanche, si deux mois plus tard, il n’a toujours pas évolué, il faudra en parler aux parents.
« Le langage se construit par la boucle audio-phonatoire », explique Françoise Garcia. L’audio est donc extrêmement important. Les professionnels de la petite enfance doivent donc être attentifs à différentes petites choses pour vérifier que l’enfant réagit face à son environnement sonore :
- Tourne t-il la tête quand il entend un bruit ?
- Réagit-il quand on lui demande d’être en alerte : « oh ! Écoute l’oiseau »
- Comprend-il quand il n’a plus d’indice visuel ? (« viens me voir », sans faire le signe avec la main)
- Répond t-il à son prénom quand il est un peu loin ?
De la même façon, un enfant qui n’utilise pas le langage pour communiquer doit vous alerter :
- Il fait sans cesse des gestes
- Il tire sur le pantalon de la personne pour l’emmener là où il le souhaite
- Il désigne les objets du doigt sans parler
- Il est silencieux
Aussi, un enfant qui ne respecte pas les tours de paroles, qui ne répond pas aux questions de façon intelligible, qui n’est compris que de ses parents ou qui répond à côté, sont également des signes d’alerte.
Si vous repérez des difficultés dans le développement du langage d’un enfant, orientez les parents vers leur médecin, pour qu’il puisse vérifier le développement général de l’enfant et/ou ensuite l’envoyer chez l’orthophoniste.
« Les professionnels de la petite enfance vont observer un enfant qui n’avance pas dans une compétence ou qui n’atteint pas la compétence attendue. C’est le médecin qui établira un
examen médical complet » commente l’orthophoniste.
Comment en parler aux parents ?
« Souvent, le professionnel de la petite enfance ne parle aux parents que quand ça ne va pas », remarque Françoise Garcia. « J’invite donc ces personnes à s’émerveiller chaque jour des compétences de l’enfant et à en faire part aux parents pour qu’il y ait un regard d’émerveillement conjoint sur le bébé. De cette manière, un dialogue de confiance s’instaure entre les deux parties puisqu’il aura été nourri d’éléments positifs. Le jour où un petit grain de sable s’installe dans le rouage, il sera donc plus facile d’en parler, » propose François Garcia.
« Le jour où vous devez annoncer que l’enfant semble stagner, invitez les parents à aller dans un endroit calme et parlez-leur d’abord de tout ce qui va bien. Puis, amenez la problématique via une question « Et sinon, du côté du langage, avez-vous remarqué que… ? / Parce que nous, en ce moment, on a l’impression que… / Et vous, vous en pensez quoi ? ». Il est en effet très important de ne pas dire brutalement aux parents : « nous avons identifié un trouble. » Il faut toujours faire part de son observation et demandez aux parents ce qu’ils en pensent. « Et vous ne dites rien d’autre ce jour là », insiste l’orthophoniste. Vous laissez les parents réfléchir. Ils reviendront probablement vers vous quelques jours plus tard pour vous expliquer qu’ils ont en effet observé la même chose que vous.
Ce qu’il faut éviter à tout prix c’est « l’injonction thérapeutique ». Même si vous êtes persuadé que l’enfant doit consulter au plus vite, vous ne pouvez pas l’imposer aux parents. « L’injonction thérapeutique ne marche pas ! » s’exclame Françoise Garcia. Il faut donc leur laisser le temps de cheminer, de réfléchir, d’observer. « Très souvent, cela est salutaire pour l’enfant. Deux mois plus tard, les parents vont revenir vers les équipes et poser des questions quant à la marche à suivre pour diagnostiquer leur enfant. Il est d’ailleurs très important pendant cette période, de ne pas parler de ce que vous avez observé. Il faut laisser les parents tranquilles, ne pas leur mettre de pression. Et c’est justement grâce à cette façon de faire qu’ils vous écouteront », conclut Françoise Garcia.
Article rédigé par : Laure Marchal
Publié le 01 mars 2016
Mis à jour le 29 juin 2021