Un parent me demandait récemment comment faire pour que son enfant ne grimpe pas partout, notamment sur les chaises où il adore se mettre debout, que ce soit à la maison, chez des amis ou chez le médecin.
Je venais justement d’expliquer que les objets appellent, par leur forme comme par leur consistance, à être utilisés d’une certaine façon par les enfants. C’est ce que l’on appelle la théorie de l’affordance. Ainsi la chaise avec son plateau plutôt solide et plat appelle à l’exploration de cette solidité en projetant l’entièreté du corps dessus, et ceci en hauteur qui plus est !
L’affordance, cela veut dire que ce sont les objets eux-mêmes qui semblent indiquer au corps comment faire. C’est ainsi qu’un toboggan s’aborde bien plus par la pente que par l’escalier, qu’une chaise se manifeste à l’enfant comme un objet à grimper et non à s’asseoir, ou dont les pieds doivent bien pouvoir servir à le faire avancer en le poussant, que des coussins légers semblent être faits pour être lancés ou pour sauter dessus ou taper avec.
J’ajoutais qu’il est vain de non seulement se fâcher, de penser apprendre à un jeune enfant comment se servir « correctement » des objets de son quotidien et encore plus de penser qu’il n’écoute rien et fait exprès de nous provoquer en recommençant à monter sur la chaise alors même que nous lui avions signifié qu’elle servait à s’asseoir. Car cela est plus fort que lui, son corps est comme attiré par un objet qui lui indique comment être exploré. Ainsi, pour lui, la fonction de cet objet est bien secondaire et ne l’intéresse pas encore. Même si la chaise s’appelle chaise et qu’il entend qu’il ne doit pas monter dessus autrement que pour s’y asseoir, celle-ci mérite d’être explorée différemment. Il souhaite et est attiré par le fait d’en découvrir ses caractéristiques physiques et l’ensemble des modes d’action possibles qu’il peut envisager et essayer sur elle.
Après ça on en conclurait presque qu’il faut alors laisser l’enfant faire comme il l’entend : grimper sur les chaises, s’y tenir debout ou tenter d’en éprouver leur hauteur en sautant à terre… Mais est-ce possible dans un monde où, d’une part le risque pris par l’enfant n’est pas toujours bien mesuré par lui, et d’autre part les conventions sociales sont telles que le parent peut bien vite être jugé comme inconscient à la fois du danger et de la gêne occasionnée par l’attitude de son enfant ?
Mais non bien entendu.
Ce qui importe est notre attitude face à l’enfant. Comment gérer à la fois son appétit de découverte et l’appel lancé par les objets à son corps, tout en le protégeant des accidents et du ressentiment des autres personnes peu enclines à accepter les tourments d’un petit par trop actif, et qui plus est, dans des lieux peu propices à cette action. Car autant cela semble facile à la crèche, lieu où l’aménagement doit être conçu par les professionnels de façon à prendre en considération ces connaissances sur le développement de l’enfant : les chaises sont à faible hauteur, il existe des structures à grimper, le sol est souple, les adultes s’attendent à voir les enfants utiliser les objets de toutes les manières possibles. Il est communément admis qu’un bébé explore le monde et que c’est de son exploration qu’il en déduit les grandes règles de sa complexité. Mais à la maison, dans la rue, chez le médecin ou chez des amis, cela est bien moins facile. Car les attendus sociétaux sont de respecter les lieux, les personnes et les modes d’utilisation des objets selon leurs fonctions.
Un enfant, même petit, peut comprendre cela à partir du moment où l’adulte respecte aussi ce qu’il ressent et le fait que cela n’est pas forcément facile pour lui de lutter contre son inclination première qui est celle de répondre à l’appel de l’objet. Ainsi, ce qui importe dans l’éducation de l’enfant, ce n’est pas de le laisser faire ou de le stopper dans son action, mais c’est de comprendre ce qui se passe pour lui, tout en faisant autorité. Si l’on choisit de le stopper parce qu’il nous semble nécessaire de lui interdire de grimper par exemple, nous devons toujours garder à l’esprit qu’il ne le fait pas pour nous embêter ou parce qu’il n’est pas « sage », pas « calme », pas « gentil » ou tout autre chose de négatif à son propos, mais bien parce que cela est intéressant pour lui, et qu’il ne peut pas encore réfréner son envie d’agir. Alors nous pouvons lui dire qu’on comprend cet intérêt qui le porte à vouloir explorer la chaise de cette manière, mais que cela est impossible ici et donc que nous nous y opposons. L’autorité de l’adulte est celle qui lui donne le savoir de ce qui est bien ou pas pour son enfant et de le lui imposer. Mais tout en prenant en compte l’avis de l’enfant et ce qui se passe à son niveau.
Un jeune enfant a tout autant besoin de notre compréhension que de notre fermeté ou assurance. C’est ainsi que nous le respectons dans son développement, et que nous le sécurisons. Nous lui permettons de construire une confiance en lui et en nous également. Au contraire, croire à tort qu’il le fait exprès pour se faire remarquer, qu’il n’est pas tenable, qu’il a un problème, etc, ne sert à rien d’autre qu’à nous faire du mal et n’aide pas l’enfant qui se construit de ce fait avec cette image de « mauvais » enfant ou de « pitre » qui parfois amuse les adultes ou les exaspère. Un bébé n’est ni mauvais, ni méchant, ni bon, ni gentil. Il est un bébé, équipé pour découvrir le monde et l’apprendre et qui essaie par tous les moyens possibles de le faire. C’est un scientifique spontané qui ne cesse de faire des expériences. Parfois nous devons l’empêcher de faire certaines d’entre elles car elles ne sont pas souhaitables ou trop dangereuses, là est notre rôle d’adulte, parent comme professionnel. Mais il nous faut aussi trouver des lieux où cette exploration devient possible pour l’enfant : des squares ou jardins avec des structures de motricité, des crèches ou d’autres lieux d’accueil favorisant cette même motricité.
Pour autant, dire à l’enfant qu’il doit attendre d’être au square ou à la crèche pour grimper ne sert à rien non plus car il est trop petit pour se projeter à plus tard. Il vit dans l’instant présent, ici et tout de suite. Alors ici et tout de suite, il ne doit pas grimper sur la chaise. Voilà tout ! Peut-être en sera-t-il frustré et marquera-t-il son mécontentement. Cela aussi nous devons l’accepter comme tel, car il a le droit d’être fâché puisque empêché d’explorer comme il l’entend… La vie en somme !
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 12 décembre 2017
Mis à jour le 12 décembre 2017