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L’enfant qui rit

« Dis-moi ce qui te fait rire, je te dirai quel âge mental tu as »dixit Héloïse Junier, psychologue, formatrice et journaliste.

Le rire éclate lorsqu’il y a un décalage entre l’attendu et l’inattendu : vous savez que des fleurs se mettent dans un vase, donc si votre épouse les range dans le frigo, vous trouvez ça drôle (ou pas…)
De même le bébé s’attend à ce qu’une petite cuillère serve à engloutir une compote de poire et non à téléphoner, donc si son papa fait semblant de téléphoner avec, le petit va sans doute rigoler.

L’inattendu, l’incongruité provoque la surprise, et puis le rire.

L’humour des tout-petit, celui des ados, des grands, des très grands est basé sur ce même principe du conflit entre ce qu’est le monde, ce à quoi servent les choses, ce que les mots signifient, et ce qu’on en fait. Si on décale l’usage normal d’une table en en faisant un lit, on crée une tension et ça peut faire rire.
L’humour évolue donc au fil de notre connaissance du monde : plus on sait à quoi servent les choses et les mots, plus on est capable de rire lorsqu’ils sont utilisés autrement. Héloïse Junier nous explique.

De quoi rit le tout-petit
Ça dépend de son âge et de son développement cognitif.
Dès 5 semaines, le tout-petit connaît le visage humain, il est donc capable de sourire devant un grand-père qui lui tire la langue.
À connaissance rudimentaire, humour rudimentaire.
Entre 6 et 18 mois, il a une petite connaissance de la vie, il sait comment ses parents réagissent : gros yeux pour la surprise, couinement pour le bonheur, sourire pour l’émerveillement etc. Donc devant sa mamie qui fait le petit singe, il s’étonne car il sait que c’est un comportement atypique, et il rit. À condition toutefois que la mamie rit aussi, sinon, ça peut l’inquiéter.
6-18 mois, c’est aussi l’âge du fameux « coucou caché ». Le visage qui apparaît, disparaît suscite du plaisir, de la surprise, une excitation de tout le corps, des vocalises, et le rire.
Entre 18 et 24 mois, les enfants savent à quoi servent les objets, ceux de son quotidien au moins. Le détournement de leur usage crée alors le rire. C’est alors plus facile de le faire rire : il suffit de téléphoner avec une banane ou de mettre ses chaussettes sur sa tête.
Après 2 ans, voilà qu’il parle : détourner les mots, en créer d’incongrus (crocobille ou carabistouille), oser des sonorités fait rire.
Dès 3 ans, l’humour scato commence, juste à l’âge de la propreté, quand ils savent que parler pipi caca dérange les adultes. C’est aussi l’âge de la théorie de l’esprit, lorsque l’enfant découvre que l’autre pense différemment de lui, période où le petit « se décentre » comme le dit Héloïse la psychologue, c’est-à-dire où il n’est plus le centre du monde. C’est pourquoi il peut choquer l’autre quand lui ne l’est pas : le pipi caca ne me gêne pas mais met papa très mal à l’aise, alors je me lance et je me marre.

Le tout-petit fait le pitre
À partir d’un an et demi, deux ans, le petit peut avoir la maturité suffisante pour faire rire à son tour, volontairement. Pour cela, il imite le grand car il a vu et retenu que tel comportement faisait rire. Il anticipe la réaction de l’autre. Il sait que ça marche alors il se lance.
C’est donc criant que l’humour s’apprend, il ne fait pas lésiner sur l’humour, car ce rire est bénéfique.

Quel est l’intérêt du rire
Le rire (comme les pleurs) est un extraordinaire régulateur émotionnel. Héloïse Junier le dit : « Les enfants qui rient beaucoup ont une meilleure santé émotionnelle ».
D’ailleurs, le petit qui rit quand on le gronde n’est pas dans la provocation ! Devant la colère de l’adulte, son cerveau est sous stress, or l’enfant a retenu que son sourire provoquait normalement le sourire, il essaye de changer cette figure fâchée en lui soufflant un sourire.

L’humour développe aussi la créativité, l’imagination, il insuffle des idées nouvelles et entraîne à anticiper les réactions. Et puis le rire est communicatif, ce qui en soi est un bienfait pour l’humanité !

Héloïse Junier, Le guide pratique pour les professionnels de la petite enfance, éditions Dunod, 2018