Soigner les bobos d’un tout petit, c’est aussi décrypter ses pleurs ou son silence, chercher à percevoir ses ressentis, ses besoins et chercher à le comprendre.
Un « bobo » par définition, pour l’adulte c’est insignifiant, mais pour le jeune enfant cela peut prendre un sens singulier. Il est touché dans son corps, dans son intégrité et, plus encore, dans l’image qu’il se fait de lui-même.
Nous, les professionnels, agissons-nous en fonction de nos propres représentations de ce qui est grave ou pas, de ce qui est normal ou pas, ou bien en fonction de ce que nous donne à voir l’enfant ? Et si nous apprenions à prendre au sérieux les manifestations de l’enfant et à en tenir compte ? Et à rester ouverts à une vraie rencontre qui permet à l’enfant de construire son vrai-self, en accord avec son propre ressenti.
Un bobo qui terrorise :
Quand son papa vient le chercher à la crèche, Titouan est complètement figé, agrippé à son auxiliaire, la tête bloquée vers l’arrière… Il est tombé et il a vu, pour la première fois, son sang couler, ce qui l’a tétanisé, il n’ose plus voir ses jambes.
Imaginons ce qui pourrait être un bon soin, qui tienne compte de l’état tonico-émotionnel de cet enfant : le prendre dans ses bras (comme l’a fait ici la professionnelle) et rechercher avec lui quelle position lui apporterait du réconfort dans le contact avec notre propre corps, de quelle manière nous pouvons être un réel point d’appui pour lui en lui disant des paroles contenantes et rassurantes sans l’obliger à regarder son égratignure.
« Tu es tombé, tu t’es écorché le genou, tu as vu un peu de sang qui a coulé et cela t’a fait peur… Mais je vais te soigner, et tu te sentiras mieux… Est-ce que tu as mal ?… Veux-tu un petit coton pour nettoyer ton bobo ? ».
Dans l’instant qui suit cette narration, on va pouvoir le rendre actif dans le soin de son corps et lui mettre un pansement qu’il aura pu choisir, cette deuxième peau qui retient ce qui est à l’intérieur, qui évite un débordement vers l’extérieur.
La déchirure de son enveloppe corporelle a mis ce petit garçon dans un état de désorganisation qui nécessite que l’adulte vienne l’aider à se rassembler, à se retrouver une image réunifiée de lui-même, solide et contenue.
En empathie avec lui, on peut transformer l’événement catastrophique en expérience corporelle assimilable à quelque chose de bon, d’apaisant, dans sa relation à l’adulte.
Plusieurs mois après, ce même petit garçon, très enrhumé, est persuadé qu’il voit dans son mouchoir son « cerveau en train de partir »… Il nous montre que c’est bien la question des limites corporelles et de la contenance de son monde interne qu’il se pose.
Un bobo qui est vexant :
Mariz court, tombe, ne bouge plus et pleure… Elle entend qu’on lui dit, de loin : « Ne pleure pas, ce n’est rien… Allez, relève-toi ! »
On peut se demander si elle s’est fait mal, si la chute lui a fait peur ou si elle est déçue de ne pas être arrivée au toboggan, avant les autres…
Que pourrions- nous lui dire, dans une attitude bienveillante, en venant tout près d’elle, en la touchant délicatement ?
« Mariz, tu es tombée, est ce que tu t’es fait mal ? Montre-moi, où tu as mal, je vais te soigner … » et s’il n’y a, apparemment, pas de bobo : « tu courais vraiment très vite, tu voulais aller au toboggan ? Viens, je t’accompagne. »
En perdant son équilibre physique, elle a également perdu son équilibre psychique et elle a besoin de l’aide de l’adulte pour le retrouver.
D’un bobo réel à un bobo imaginaire :
Daniel arrive à la pouponnière avec un doigt très enflammé par un vilain furoncle. Quand le médecin le soigne, contre toute attente, il ne manifeste aucun signe de douleur, il ne fait pas la moindre petite grimace et se laisse faire. Tout petit qu’il est, il a déjà appris à subir sans réagir, à renoncer à lui-même…
Ce même petit garçon, quelques mois plus tard, cherche sur le bout de ses doigts, un bobo inventé pour le montrer à son auxiliaire, obtenir d’elle un signe de reconnaissance, et vérifier qu’il est bien l’objet de sa sollicitude.
Quel chemin parcouru ! Et quel chemin encore à parcourir…
Comment soigner ce bobo imaginaire et faire comprendre à Daniel qu’il est le centre d’une attention soutenue et chaleureuse de ses auxiliaires, sans avoir besoin de ce recours, alors qu’il est accueilli dans un groupe d’enfants et qu’il n’est pas tout seul ?
Un bobo qui soulage une blessure plus profonde :
Mamadou, en pouponnière, se frappe la tête contre le mur, des coups de moins en moins forts depuis son placement, mais qui à la longue ont formé une bosse sur son front… Il s’arrête dès qu’il s’aperçoit qu’on lui prête attention.
Réfléchissons, comment intervenir ?
Peut-être pouvons-nous, dire en se rapprochant de l’enfant et avec douceur : « Pourquoi fais-tu cela ?» pour lui signifier qu’on l’a vu et qu’on cherche authentiquement à le comprendre.
« Je ne veux pas que tu te fasses du mal… » pour lui donner une limite à ne pas dépasser avec notre aide et lui donner à connaître notre intention de lui apporter du bien. « Je reste à côté de toi, le temps dont tu as besoin… » ou si c’est le moment, « viens je vais te changer ta couche, te donner ton repas, te recoucher dans ton petit lit douillet... » pour l’assurer de notre présence attentive et de notre conviction selon laquelle on va pouvoir satisfaire ses besoins, tout de suite ou un peu plus tard…
Le professionnel va l’aider à arrêter de faire ce qu’il fait (s’il se fait mal ou s’il fait mal à l’autre) tout en accueillant l’expression de sa souffrance intérieure, en empathie avec lui, c’est à dire sans être soi-même complètement envahi par l’émotion de l’enfant.
Article publié dans les Métiers de la petite enfance
Rédigé par Claire Belargent, psychologue et formatrice à l’Association Pikler-Loczy- France.