Prévoir des activités fait partie de la vie et de l’organisation des crèches. Le « jeu libre » ne peut être la seule proposition faite aux enfants. Les activités proposées se rattachent souvent à un thème qui ne correspond pas toujours aux centres d’intérêt des tout-petits ! Karine Laurent, EJE, ancienne directrice de crèche aujourd’hui formatrice, explique comment les équipes doivent procéder pour choisir des activités conformes à leurs besoins en s’appuyant sur les recherches et connaissances sur le développement de l’enfant.
Invariablement les structures d’accueil vivent au rythme des saisons. En été, il fait beau, il fait (très) chaud et dans les crèches, bassines, seaux, piscines sont de sortie pour le plus grand plaisir des enfants accueillis. Après l’été arrivera l’automne et ses couleurs inimitables puis viendra l’hiver avec, espérons-le, quelques flocons de neige qui rendent le monde un peu magique. Et bien sûr, le printemps ne manquera pas l’occasion de nous amener son florilège de fleurs et de papillons. Il ne s’agit pas ici de traiter du temps qu’il fait, mais bel et bien des pratiques pédagogiques. Parce que fleurissent encore sur les murs des crèches des hérissons aux couleurs d’automne sur une feuille A4, ou leurs amies les grenouilles, certes peints par les enfants, mais qui nous amènent à nous poser cette question essentielle : pourquoi le hérisson ? Quelle est la proposition faite à l’enfant et en quoi répond-elle à ses centres d’intérêts et à ses besoins ?
Comment choisir un thème qui peut avoir du sens pour des enfants de 3 mois à 3 ans ?
• Se préparer en équipe
Dans de nombreuses structures, vous réfléchissez régulièrement aux propositions que vous faites aux enfants. Vous avez des temps de réunion au cours desquels, notamment, se pose la question des projets, sujets, thèmes que vous allez mettre en œuvre. Il s’agit de trouver un fil conducteur qui sur une semaine, un mois ou même un an, va fédérer l’équipe et donner une cohérence aux propositions. Ensuite, vous proposerez des activités en lien avec ce thème.
• Choisir un thème
Les idées ne manquent pas : les saisons (vous voyez où je voulais en venir), les pays du monde, les couleurs, les sens, la musique, les quatre éléments… Au cours de cette première étape, il est nécessaire de se poser une question fondamentale : comment choisir un thème qui peut avoir du sens pour des enfants de 3 mois à 3 ans ? En effet, ce choix doit vous permettre de mettre en œuvre des propositions qui correspondent au développement des enfants. De ce thème va découler un projet avec des objectifs et des moyens : vous voulez aborder le thème des saisons ? Quel est votre projet ? S’agit-il d’apprendre à des enfants de moins de trois ans qu’il y a quatre saisons qui durent trois mois chacune et qu’elles se déroulent dans un ordre défini ? Cela parait très ambitieux et bien éloigné de la réalité des jeunes enfants. Alors quoi ?
Que savons-nous des jeunes enfants avec lesquels nous travaillons et quelles conclusions pouvons-nous en tirer ?
• S’appuyer sur nos connaissances et sur leurs compétences
Tout d’abord, nous savons que les enfants sont naturellement curieux : ils ont donc besoin d’explorer et de découvrir. Des espaces savamment aménagés et la mise en œuvre de la liberté motrice fondent le socle de l’exploration. En effet, dès le plus jeune âge, les enfants utilisent leurs compétences motrices pour découvrir et comprendre le monde. Par ailleurs, ils aiment faire des expériences et mettre en œuvre leurs compétences de chercheurs : cela nécessite qu’ils aient à leur disposition du matériel intéressant à manipuler et à expérimenter. Mais qu’est-ce qu’un matériel intéressant ? S’il est pertinent que les structures d’accueil disposent d’un panel de jeux et jouets variés, il est également nécessaire que l’offre faite aux enfants soit enrichie d’autres objets : cartons, bouteilles, bouchons, bassines, boîtes, pommes de pin, feuilles mortes, terreau, argile, foulards, tissus … la liste est non exhaustive. Tous ces matériaux ont une caractéristique commune : leur destination première n’est pas d’être un jouet et c’est ce qui permet à l’enfant d’être le créateur de son propre jeu. Enfin, nous savons qu’ils ont des compétences d’imitation et pour qu’ils puissent les utiliser, il est indispensable de proposer un nombre conséquent d’objets semblables.
• Penser invitation plutôt qu’activité
Cette notion d’activité est trompeuse : elle nous fait croire que nous devons faire faire des choses aux enfants. Dans son travail, Irène Fernandez de l’association Createctura, utilise le terme de provocation. Il s’agit de proposer à l’enfant une situation dans laquelle les objets, l’installation, l’ambiance vont, au sens propre, provoquer une réaction. Il ne s’agit pas de faire faire mais d’offrir à l’enfant l’opportunité d’utiliser toutes ses compétences et de déployer toute sa curiosité. Notre travail est de mettre en œuvre des invitations : à l’étonnement, à l’émerveillement, au détournement, à l’expérimentation, à la recherche. Et vous voyez bien que tout cela ne peut pas se jouer assis autour d’une table avec une feuille A4 déjà formatée par l’adulte. Alors adieu, hérisson et grenouille, c’est ici que nos routes se séparent.
• Partir des centres d’intérêts
Depuis quelques jours, vous avez remarqué l’obstination avec laquelle Charly et Léa introduisent un à un les kaplas dans l’interstice entre le radiateur et le mur. Cette activité n’est d’ailleurs pas sans vous poser quelques soucis puisque dans la configuration de votre structure, il est quasiment impossible de récupérer les kaplas en question. Deux choix s’offrent alors à vous : vous vous postez en gardienne de radiateur et œuvrez sans relâche à la protection du périmètre ou vous proposez à Charly et Léa de quoi répéter leur expérience à distance respectueuse dudit périmètre. Les kalpas et des boîtes de lait avec une fente dans le couvercle devrait leur permettre d’étudier la question de la disparition de l’objet dans un trou. L’observation est la clé de beaucoup de situations en crèche : ici, Charly et Léa vous montrent ce qui les intéresse et il ne vous reste qu’à faire une proposition qui y correspond.
De plus, une mise en scène attractive de cette proposition permettra que d’autres enfants, tout aussi intéressés par ce sujet, se saisissent à leur tour de cette expérience.
• Du thème au projet
Ainsi, le développement des connaissances sur le jeune enfant et les observations effectuées au quotidien doivent constituer la base de nos projets en crèche. S’il est nécessaire de réfléchir en équipe aux propositions pédagogiques à mettre en œuvre, il est indispensable de nous séparer de modèles correspondant davantage à des standards de centre de loisirs ou d’école maternelle. Ces modèles ne constituent pas une source d’inspiration pertinente au regard de la réalité de notre public. Alors pourquoi pas les saisons ou les pays, à la condition sine qua non que cela ne soit qu’une base sur laquelle vous vous appuyez en équipe pour déployer des propositions originales, enrichissantes, qui permettent aux enfants d’exercer leur talent de chercheur, d’explorateur, d’imitateur.
Article publié dans les Pros de la petite enfance
Rédigé par : Karine Laurent